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La création

Août 23 alkemy_the_game  

Au début, il n’y avait rien. Le vide. Un néant incommensurable, obscur.
De ce grand rien naquit une intuition. L’idée persistante qu’il doit exister quelque chose. Un sentiment puissant, une volonté absolue de créer. Et Elle apparut. Née de sa propre résolution à exister, Elle fut. Cela se fit, tout simplement, et c’est tout ce qui importe.

Primordial Chaos
Primordial Chaos, de Judy Racz

Elle s’éveilla doucement des brumes de ce néant et alors qu’Elle prenait conscience d’Elle-­même, Elle devint plus puissante.
Entourée par les ténèbres Elle voulut apporter un peu d’éclat à cet univers si terne. Elle créa des étoiles, des milliers, des millions afin de percer l’obscurité oppressante. Elle les créa de multiples couleurs et la nuit fut constellée de petit lampions rouges, jaunes, bleus et blancs.
Ainsi naquit l’aube et Elle put enfin distinguer tous les recoins de son nouveau domaine.

Elle contempla sa création avec bonheur, hypnotisée par ces petites lucioles de gaz coloré. Mais cela ne lui suffit pas. Cela manquait encore d’animation.

Elle décida alors qu’il était grand temps de coloniser ce vaste univers.
Elle créa un premier monde, Printeps où les richesses de toutes sortes seraient légion et Elle façonna des créatures qui en jouiraient éternellement. Les millénaires passèrent mais il ne se passait rien et son jouet l’ennuyait. Cela ne lui plut pas.

Elle créa alors un deuxième monde, Hecateps, à l’environnement hostile où deux races s’affronteraient sans cesse pour son bon plaisir. Cela durant un temps, une éternité de batailles en son nom. Mais finalement, les chamailleries et les guerres permanentes entre ses nouveaux jouets l’ennuyaient. Cela ne lui plut pas.

Elle en créa un troisième, puis un quatrième, plusieurs, qu’Elle façonnait selon ses envies, plus beaux ou plus fantasques les uns que les autres. Mais toutes ses créations lui semblaient inachevées, insipides. Il lui semblait qu’aucune ne prenait vie. Toutes manquaient d’une petite étincelle qui aurait pu enflammer leur âme et en faire une création vraiment unique.

Elle arrêta son œuvre, un instant lasse. Là, dans le vide de son univers, Elle se mit à réfléchir. Elle attendait. Une éternité pour ses créations, un bref instant pour Elle.

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Puis les ombres de ses pensées finirent par se dissiper et lui apparut ce qui lui sembla être une idée forte. Elle commença tout d’abord par façonner un nouveau monde puis Elle le nomma Mornea, car cela lui plaisait. Son âme, son essence serait la plus subtile et la plus belle de tous ses mondes. Elle le savait.
Et enfin Elle entreprit d’y ajouter l’ingrédient dont Elle pensait qu’il pourrait enfin donner vie à son nouveau jouet : Elle créa ainsi le Temps. Du temps viendrait l’évolution, et de l’évolution la beauté du monde qui pourrait enfin s’épanouir sous ses yeux.
Cela lui plut.
Elle sentait enfin montre une nouvelle sensation au plus profond de son essence : l’excitation, l’ivresse. Le trouble apporté par sa création la grisait.
Il lui fallait maintenant éprouver ce nouveau concept de temporalité. Elle ne pouvait certes pas s’y essayer Elle-­même, le temps n’aurait aucune prise sur Elle.

Les Architectes

Elle décida alors de créer quatre êtres, quatre créateurs, les Architectes, tous dotés de ses particularités et d’une partie de son essence divine.

Elle créa tout d’abord Khalim, celui au corps de félin, courageux et loyal comme Elle.
Elle créa ensuite Naash, celui au corps de serpent, sage et patient comme Elle.
Puis Elle créa Aurlokan, celui au corps noueux, généreux et rêveur comme Elle.
Enfin, Elle créa Orhöm, celui sans traits, curieux et versatile comme Elle.

Elle leur donna à chacun une vie, une existence définie. Une vie pour façonner sa création, son monde, le peindre et aider son âme à s’épanouir. Elle leur annonça qu’Elle reviendrait leur vie sur le point de s’achever afin d’admirer leur tâche accomplie.
Puis Elle se retira, pour la première et unique fois, satisfaite.

Les quatre Architectes se mirent au travail, et selon Sa volonté, modelèrent un monde selon leurs envies, et de fait, à Son image.
Les premiers bouleversements et transformations firent leur apparition.
Le temps s’écoulait et les créations des quatre se mirent à changer selon des cycles qui évoquaient la nature de chacun.

Khalim fut le premier à façonner des rivières, des plaines couvertes de plantes bourgeonnantes et d’arbres en fleurs. Ce fut le premier temps de Mornea : le printemps.
Khalim aimait les couleurs que faisait naître cette première saison. Les nouvelles senteurs et quelques premiers animaux.
Mornea naissait de rien et il en était fier.
Puis Naash poursuivit le travail de son frère, trouvant que ces première réalisations avaient beson d’évolution encore. Il fit apparaître un soleil, Thébus, qui réchaufferait doucement Mornea au cours de sa deuxième saison : l’été.
La chaleur envahit la surface de Mornea, de nouveaux animaux apparurent. Naash sembla satisfait.
Vint Aurlokan qui trouvait que tous ces paysages manquaient de contrastes. Ainsi, il couvrit les arbres de couleurs magnifiques, plus propices à la rêverie et la mélancolie. Mornea vivait son automne. Aurlokan aima se promener dans les forêts et les champs ainsi transformés pour y contempler la beauté du monde qu’il façonnait avec ses frères.
Enfin Oröhm, ne voyant pas comment changer en mieux tous ces aspects, décida, par simple esprit de contradiction, d’effacer tout au cours d’un temps d’un neutre pur. Il créa la nuit, dont la lune Hannah serait reine, et Mornea plongea dans l’hiver.
Les animaux s’endormirent pendant la saison créée par Orhöm et cela lui plut de pouvoir contempler son travail au calme.

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Le temps s’écoulait ainsi, saison après saison, en permettant à chacun d’apprécier, au fil de celles-ci, toutes les facettes de leur œuvre. Et ils purent constater combien le temps était beau, car il permettait de varier les tableaux du monde, de Mornea, tout au long d’une même vie.
Ils aimaient à contempler leur travail, laissant filer les cycles pour que chacun puisse s’éterniser devant le travail accompli.

Le temps, lui, continuait son œuvre, paisiblement. Seulement, la tâche des Architectes n’en était encore qu’à ses débuts et leur vie déjà bien entamée. Mais ils étaient tous subjugués par la merveilleuse tâche dont ils s’acquittaient.

La fresque de verre

Au bout de plusieurs cycles, les Architectes prirent toutefois la mesure de l’écoulement du temps. Et tout à coup il leur apparut combien celui-­ci pouvait être injuste. Chacun des Architectes devait attendre trois saisons pour admirer son travail mais, durant cette attente, leur vie filait.

Ils décidèrent alors, ensemble, de trouver une solution pour remédier à cette situation. Trouver un moyen pour terminer la tâche qu’Elle leur avait confiée.

Longtemps leur esprit vagabonda à la recherche d’une idée. Elle leur apparut brusquement comme une évidence. Ils allaient figer les saisons sur un tableau. Le temps ainsi arrêté, il leur serait possible de contempler Mornea et terminer leur besogne à loisir.

Khalim alla dans le désert et ramena une multitude de grains de sable. Le sable le plus pur et le plus blanc qu’il put trouver.
Naash chauffa les grains et obtint une grande plaque d’un verre translucide sans aucune imperfection.
Aurlokan rassembla du cœur de Mornea des teintes, des couleurs vives, pastels qui leur permettraient de peindre sur le verre.
Orhöm prépara la fresque en polissant le verre et en le rendant aussi lisse et fin qu’une feuille de papier.

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Chacun choisit alors une palette de couleurs pour peindre sa saison. Des teintes d’un bleu profond pour les printemps de Khalim, des impressions carmines flamboyantes pour les étés de Naash, de subtiles nuances d’ocres pour les automnes d’Aurlokan et une magnifique déclinaison de blancs et de gris pour les hivers d’Orhöm.
Chacun mit tout son cœur dans la réalisation de cette œuvre, y intégrant une partie de son essence. Celle-­là même qu’ils avaient reçue d’Elle.

Ce tableau pouvait ainsi rester éternel. Et les saisons figées, le temps s’arrêta.

Les Architectes se remirent à l’ouvrage, créant une flore encore plus variée, puis une faune plus nombreuse pour peupler ces vastes étendues et apporter un peu plus de vie à la fresque Mornea. Cette ère dura une infinité. Combien de sélènes, de saisons, de cycles ? Le temps, absent, ne le dit pas.

Le bris de la fresque

Mais bien que la vie qu’Elle avait offerte aux Architectes ne fût pas encore arrivée à son terme, Elle choisit de revenir, impatiente de découvrir le travail accompli par ses enfants.
Un jour donc, Elle revint. Pressée de découvrir son œuvre, elle bouillait de voir le fruit de leur labeur.

Mais ce qu’Elle découvrit lui déplut.

Les êtres à qui Elle avait transmis une part de son essence, ceux en qui Elle avait placé sa confiance, ses espoirs, avaient triché. Ils s’étaient octroyé le droit de manipuler le temps, son œuvre !
Comment avaient-ils pu oser manipuler et modifier ce qu’Elle avait créé avec tant d’amour !

Furieuse, Elle saisit la Fresque, y imprégna toute l’aigreur et toute la colère qui la parcourait en cet instant, puis Elle brisa la Fresque de verre en la projetant sur une montagne immense, brisant aussi par la même occasion le semblant d’immortalité
qu’avaient acquis les quatre. La Fresque vola en une myriade de morceaux plus ou moins gros qui s’éparpillèrent et échouèrent un peu partout sur Mornea.
Le plus gros fragment était une partie sur laquelle toutes les couleurs des saisons étaient présentes. Celui-­ci vint tomber au pied d’un jeune arbre poussant non loin de la montagne sur laquelle Elle avait brisé la mosaïque de verre.

Alors qu’ils touchaient le sol, tous les débris de la Fresque fondirent et s’écoulèrent dans les profondeurs du sol…

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La malédiction

Une fois la fresque brisée, éparpillée, Elle se tourna vers eux.
Son ire était incontrôlable. Pas un n’avait compris la valeur du sacrifice qu’il importait de faire pour donner une âme à son monde. Cela la mettait hors d’elle.
Elle leur jura alors qu’ils devraient tous payer le prix de leur perfidie et Elle maudit chacun de ses enfants ainsi que leur création. Seul leur sacrifice aurait une chance de réparer leur trahison et éviter la condamnation de ce nouveau monde qu’Elle avait mis tant de peine à concevoir.
Elle se tut durant un long silence qui parut être une éternité, scrutant chacun de ses enfants d’un regard brûlant. Puis Elle laissa à nouveau le temps faire son œuvre et quitta Mornea, laissant ses quatre enfants à leur fin inéluctable.