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Lumière pâle #9 – Extinction & Epilogue

Août 20 alkemy_the_game  

– Nooooooooooooon !
Leur cri avait fusé sans que rien ne puisse le retenir.
– Ils… ils l’ont mis sur… sur une Wicata wagie.

La plate-forme funéraire s’élevait au-dessus d’eux, se détachant sur le ciel étoilé. Les claies, fines et disjointes, laissaient entrevoir quelques ossements déjà bien nettoyés par les oiseaux nécrophages. Mais aucun n’était tombé au sol.

– Il n’a pas regagné la terre, dit avec évidence l’un des deux.
– Ce choix n’a pas été fait par hasard, lui confirma l’autre.

Rien ne rappelait leur ancienne condition, toute gloire les avait quitté.
Les semaines de marche forcée et la traversée d’ouest et est d’Oblaye Itse avaient usé au delà de l’imaginable leurs tenues de voyage. L’excellente qualité des tissus et cuirs n’avait pu tenir que grâce à l’habileté des artisans qui les avaient confectionnés et l’entretien qu’ils en avaient fait.
Mais le passage nocturne de l’estuaire des cinq mille à bord de leur radeau avait fini de disjoindre les coutures et c’est en haillons qu’ils étaient parvenus sur les rivages au nord de la mer Troublée.

La voix les avait guidé tout au long de leur avancée. Elle les avait maintenus dans l’urgence, ne leur laissant aucun répit, les forçant à avancer encore et encore.
Sa présence continuelle les portait et effaçait la fatigue, comme elle l’avait toujours fait, mais l’insistance qu’elle montrait usait leurs nerfs et érodait leur attention.
Ils avaient été attaqués à plusieurs reprises par des couples de coyotes des plaines et avaient dû leur survie au poison rapide des lames de leurs tantôs et n’étaient pas sûrs de ne pas avoir été remarqués par quelques voyageurs Aurloks.
Il était hors de question de perdre du temps à le vérifier et impossible de s’arrêter pour se régénérer. Tout était urgence.

Malgré leur célérité, le temps et les marabouts nains avaient fait leur œuvre. Ils étaient arrivés bien trop tard. De leur frère, il ne restait que des os, certains encore reliés par des tendons ou des lambeaux de peau desséchée.
Ils recueillirent avec précaution les vestiges de son corps et les emportèrent vers les plages argileuses qu’ils avaient traversées la veille.

Leurs corps semblaient avoir vieilli de plusieurs cycles en quelques heures. Ils s’étaient voûtés, leur peau s’était tendue, parcheminée, et laissait voir des articulations noueuses et difformes, leurs barbes et cheveux s’étaient clairsemés. Ils marchaient en claudiquant et tremblaient à chaque pas.
Mais c’était surtout leurs visages qui marquaient leur âge. Toute trace de vie en était effacée et ce qui se lisait dans le fil exigu de leurs lèvres, dans leurs pommettes acérées, dans leurs yeux défunts, était plus qu’un profond désespoir. La certitude que le pire était à venir, qu’il y avait plus à craindre que la mort elle-même, et qu’ils l’avaient rencontré.

« Le nouveau-né… il faut le retrouver, le temps court.
Il se perd parmi les petites voix… n’arrive pas à distinguer.
Un guide lui parle… mauvais guide, mauvais cheminement.
Pas pour ce chemin… il a été éveillé pour notre chemin.
Le retrouver… dans les plaines, sur le grand fleuve. 
»

Leur apparence n’avait plus d’importance, ils reprirent le chemin de l’est sans attendre.
Au fil de leur marche, il ouvrit leurs esprits aux petites voix pour les aider dans leur quête. Ils entendirent les salamandres et les agames, mais ne les écoutèrent pas. Ils entendirent les marabouts et les corbeaux, mais s’en détournèrent. Ils entendirent les iules et les vers, les rampants et les grouillants et se souvinrent de leurs voix avec nostalgie.
Et, alors qu’ils progressaient dans les herbes sèches des grandes plaines, un susurrement émergea. Il monta, enfla et le chant de Bahamut emplit leur esprit.
Alors, ils l’entendirent. Au lieu d’écouter, son esprit se repliait à la recherche du silence. Le chant du serpent-rubis lui offrait la paix à laquelle il aspirait et leur montrait la direction à suivre.

– Que fait-il ?
– Il cache quelque chose dans ses mains.
Ils se tenaient tous deux tapis et patientaient en cherchant le moment adéquat pour le contacter. Ils ne voulaient pas risquer de se faire apercevoir du campement provisoire installé au delà des totems.
– Il piste la Sorhna.

L’ombre surgit derrière elle puis s’évanouit en un clin d’œil.
– Prends ça !
Les deux Lùo ne s’attardèrent pas à regarder les Aurloks et Khalimans se lancer les plaques écarlates. C’était le bon moment, ils filèrent derrière le nouveau-né.
La vitesse de sa course n’était pas un problème, ils pouvaient même se permettre de le perdre de vue. Ils ne tarderaient pas à le rejoindre, sa voix les guidait.

– Ecoute !
Une nouvelle voix, l’ombre d’une voix, le souffle d’un murmure.
Ils cessèrent la poursuite et retournèrent leurs pas vers le sud-ouest.

Epilogue

– Le nouveau traité ne peut être signé sans eux.
– Mais est-on sûr de ce qu’il a dit ? Il divague, vous le voyez bien.
– Ses propos sont sans suite, c’est indéniable. Il évoque ensemble les Ifrits disparus, les Wahid, les montagnes du désert, la destruction de Joyau, le vent des Architectes dans une farandole sans queue ni tête.
– Mais les traces sur son corps ?
– Des marques de combat cicatrisées de longue date !
– Même cet étrange carré qu’il porte sur la nuque ?
– Là où vous voyez un carré, je ne vois qu’une tâche dans son pelage.
– Et les habits dont il est revêtu ?
– Un ingénieux assemblage de tissus artisanaux. Les Walosi ont été bien aimables de l’en recouvrir.
– Tissu non Walosi, non Aurlok !
– Alors c’est qu’il a fait sa tenue lui-même des matériaux qu’il a pu récupérer.
– C’est tout de même assez invraisemblable…
– Qu’est-ce qui est le plus invraisemblable ?
– Regardez son collier. Cette pierre qui se trouvait autour de son cou n’est pas une pierre de surface.
– Il a été retrouvé sur le rivage de la mer Troublée, pas sur les pentes d’un volcan ni à l’orée de la forêt…
– Vous semblez bien renseigné sur une certaine forêt.
– Ne m’interrompez pas en faisant semblant de méconnaître ce que nous tous ici savons, au moins par ouï-dire. Nous ne sommes pas de simples négociants ou mercenaires.
– Calmons-nous, s’il vous plaît. Je comprends que vous soyez perturbés par cette révélation…
– Par ce délire d’un esprit qui s’est définitivement perdu !
– Non, esprit très clair. Fatigué et furieux, très triste aussi, mais pas perdu.

– Je vous… entend. Ne faites pas… comme si j’étais absent. Ils sont vivants… Les Naashtis… Ils ne sont que cachés…