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Lumière pâle #3 – Lueurs 1

Jan 07 alkemy_the_game  

– Maîtres, le messager que vous attendiez vient d’ar…
La voix du serviteur s’était involontairement coupée de stupeur devant la scène qui s’offrait à ses yeux. Dans le large bassin d’agrément, les anguilles, grenouilles et perches sculptées semblaient le regarder en se moquant de lui alors qu’une grue sacrée venait de s’effondrer à sa surface, le poitrail transpercé par le bec acéré d’une grue semblable.
– Elles… elles ont combattu ? osa-t-il interroger d’une voix éteinte.
– Nous te l’avons déjà dit, il me semble, déclara une voix sourde venant d’une balancelle mollement agitée.
– Il n’y a qu’un seul maître en ce monde, poursuivit une autre voix à l’ombre d’un saule.
– Et ce maître dort, partageant ses rêves et ses cauchemars avec ceux qui le méritent, termina une troisième voix. Tu peux, par contre nous appeler oncles en montrant la déférence qui nous est due.

Le serviteur s’agenouilla en tremblant aux pieds du vieillard qui lui faisait face. Il ne vit pas plus qu’il ne sentit la lame du tantô s’enfoncer dans sa nuque.

– Je suis toujours étonné de la terreur superstitieuse que le peuple porte à ces stupides oiseaux.
– Garde de toi de médire de ma grue de combat, elle vient de remporter une magnifique victoire.
– A moins que ça ne soit la peur de l’interdit des Célestes, reprit d’un sourire le troisième qui s’étirait au sortir de la balancelle. Allons donc entendre les nouvelles que nous apporte ce messager.

Les trois vieillards arrangèrent impeccablement les plis de leur hanfu et refermèrent la porte du jardin de réflexion.

– Oncles, vous semblez vous porter à merveille !
– Cela va surtout dépendre des nouvelles que tu nous apporte, dit l’un des trois vieillards en désignant un siège.
– Prends le temps de te restaurer, que tu ne sois pas gêné par la faim ou la soif pour nous informer.
Le jeune homme se pencha pour saluer lentement, puis s’installa et porta quelques morceaux de mangue juteuse à sa bouche, usant de la petite pique à deux dents que les Triadiques avaient pour habitude d’utiliser.
Il n’osait lever les yeux sur les visages ridés des vieillards et laissait son regard errer à travers les ouvertures de la grande pièce. La forêt de bambou était éclatante de verdure en cette saison et, malgré la brume, ses couleurs tranchaient nettement sur la haute muraille qui se devinait derrière.
Il laissa le calme qui s’en détachait le pénétrer en buvant une gorgée d’eau fraîche, puis se leva et salua de nouveau longuement les trois hommes.
– Soyez grandement remerciés, Oncles.

Il aurait été délicat pour quiconque de déterminer l’origine du jeune homme. Sa peau mate démentait l’origine avalonienne qu’on aurait pu lui donner à la vue de ses vêtements ; son visage rond au menton en galoche niait toute parenté proche avec l’Empire ; rien dans son attitude ni dans son vocabulaire n’approchait la liberté de ton des ports concordiens. Mais à le voir s’adresser aux Oncles Lùo, il ne faisait aucun doute qu’il avait été élevé dans le respect des règles aristocratiques de la Triade de jade.