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Lumière pâle #8 – Etincelles 2

Août 02 alkemy_the_game  

Un léger nuage de poussière derrière le repli de la colline laissait présager une rencontre prochaine. Lùo fit un signe et le zhǎng qui l’accompagnait fila sans bruit.
Il était content de lui avoir laissé la vie.

Lorsqu’ils sortirent de Gueule, au passage de la dernière écluse avant la mer Troublée, il avait pensé se défaire de lui. Un cadavre de plus ou de moins sur l’écluse aux cinq milliers de morts…
Mais il n’avait pas achevé son geste. Celui qui avait réussi à obtenir le rôle de portier lors du choix des chefs de gang, que ce soit chance ou calcul, lui serait certainement encore utile. Peut-être plus que cette larve servile de Djalil !
Ils avaient continué leur chemin vers le sud-est, se fiant au rythme lent de leur monture, et suivaient de loin la côte de la mer Troublée. Lùo avait préféré la voie terrestre. Il était resté bien trop longtemps sur les eaux et ne tenait pas à se faire remarquer, les yanpin’ étaient là pour ça.

Même s’il ne laissait rien paraître de ses sentiments, le silence de ses frères l’inquiétait. Depuis la missive qu’ils lui avaient fait parvenir lors de leur départ de KastelKernan, il ne savait rien d’eux. La voix ne lui en apprenait pas plus, elle ne lui parlait que du nouveau-né qui tentait de lui échapper.
Il lui fallait le retrouver et lui faire écouter la voix. Il errait dans les terres aurloch, mais était rarement seul.

Leur progression se faisait loin des forêts de tosacan, siège du clan des Waya. Les petites juments qu’ils montaient n’étaient pas faites pour les sentiers forestiers et les informations que Lùo avait pu obtenir ne lui donnaient pas envie de s’approcher des tribus d’Aurlochs. Malgré les tentatives des cheikhs khalimans, certains sachems s’opposaient au passage des hommes en Oblaye Itse. Il se racontait dans les tavernes de Gueule que les soldats de Brall avaient fort à faire avec un insaisissable chef de guerre aurloch et que certaines tribus sédentarisaient une partie de leurs membres près des frontières avaloniennes et des fleuves.

– Monsieur, Basi ne revient pas.
Lùo sortit de ses pensées.
– Pourquoi ne m’appelles-tu pas oncle, toi ?
– Hôo ! Vous êtes pas mon oncle, vous êtes un homme !
Le petit Khaliman avait retrouvé un peu de sa verve depuis qu’il avait compris qu’il n’était plus l’esclave de Djalil et Lùo n’avait pas cherché à le maintenir dans la crainte. Il préférait ajouter cette liberté de parole aux sentiments qu’éprouvait l’ancien forçat de la Dent. Chaque fois que le petit parlait, Lùo voyait la main amputée de Djalil se contracter
– Le zhǎng vient juste de partir, laisse lui le temps de revenir, petit.
– Cela fait tout de même un petit moment, Oncle, osa Djalil.
– Es-tu en train de me reprocher quelque chose ?
– Je… Non, bien sûr…
Il avait baissé les yeux et s’était instantanément voûté pour tenter de disparaître. Rien ne restait de l’ancien compagnon de Hakan, sa queue pendait lamentablement au sol, poussiéreuse comme tout le pelage de l’Almohad qui faisait autrefois sa fierté.
D’un petit coup de talon, Lùo fit avancer sa monture et ils partirent en direction de la colline derrière laquelle avait disparu le zhǎng.

Autour de quatre poteaux aux couleurs vives, hommes et Aurloks se repoussaient.
Basi était adossé à l’un de ces poteaux, aux nuances brunes et rouges, immobile. Corbeaux et humains ne tenaient pas compte de lui et tournaient autour des totems aux couleurs du ciel et de l’eau.
Un bosquet, au pied de la colline, leur permettrait peut-être de s’approcher discrètement. Lùo fit signe aux deux Khaliman et ils descendirent en se maintenant dans l’ombre de la colline.

– Là !
Le zhǎng les désignait, bras tendu, et deux hommes se retournèrent vers eux.
Durant leur approche, les Aurloks avaient fui, emportant avec eux ceux qui étaient tombés et les hommes étaient restés, maîtres des totems, à panser leurs blessures. A aucun moment leur regard ne s’était porté sur les trois cavaliers, Lùo en était persuadé. A aucun moment non plus, ils n’avaient eu d’échange avec Basi qui était resté prostré contre son poteau.

Les deux hommes n’eurent aucune difficulté à se saisir de Lùo, empêtré dans les rênes de Djalil. Il leur fut par contre impossible d’arriver à se saisir du jeune Djeliya qui disparu dans le bosquet.

– Ton nom m’est pourtant inconnu, dit le vieil homme à celui qui se faisait appeler Basi.
– Le tien ne l’est pas pour nous, pas plus que celui des autres oncles, même s’il nous est difficile de vous différencier.
– Difficile ? Que sais-tu de nous en dehors de nos noms ? répondit Lùo avec un léger sourire. Je reconnais ton habileté et saurai t’en récompenser à son juste prix. Quant à toi, ajouta-t-il en regardant Djalil, je te prie de mourir.
Le Khaliman tenta d’échapper à son regard. Il fut pris de tremblements de plus en plus violents et s’écroula sur les herbes tendres.
– Non ! Ne l’écoute pas.
Le corps était secoué de soubresauts, les yeux révulsés, mais ne se résignait pas à quitter la vie.

– Tu ne l’as pas eu assez longtemps avec toi, il ne cédera pas aussi facilement. Emmenez-le un peu plus loin, dit-il à l’adresse des hommes autour de lui.
Rien ne pouvait distinguer leur origine. Des natifs du canal probablement, mais différent des mercenaires habituels.
– Qu’il aille mourir ailleurs si tu préfères, ricana Lùo. Tu ne m’as toujours pas donné ton nom.
– Et ça ne t’inquiète pas de ne pas le connaître ? Tu es pourtant un oncle Lùo, l’un de ceux-qui-savent, comme vous nomment les Walosi d’Otsiliha. Je vais te donner un indice, dit-il en lui présentant son poignard.
Le dessin qui en ornait la poignée ne pouvait laisser aucun doute.
– La Loge, dit-il en expirant.