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Chroniques de Mornéa (pdf) – Saison 2012-2013

Sep 13 alkemy_the_game  

chroniques-couvChroniques de Mornéa (2012-2013)

Elle est assise là, dans le noir, une petite goutte de sueur perle le long de sa joue. Une clameur sourde lui parvient de l’extérieur dont le rythme semble se calquer sur les battements de son cœur.

Ce sera bientôt son tour.

Elle ressert ses doigts sur la garde de ses deux cestes, si fort qu’elle sent un instant ses mains se crisper. Elle inspire profondément une bouffée d’air, l’expire lentement et se force à relâcher ses doigts. Son regard se porte sur le sol, à peine illuminé par la faible lumière diffusée sous la porte de sa cellule. Elle imagine le long couloir, taillé dans la pierre, sa fraîcheur humide conduisant à l’arène. Elle sent un souffle d’air habituellement chaud et sec provenant de l’extérieur. Elle tourne la tête. Par delà le couloir, elle devine l’extérieur, imagine la foule surexcitée. Elle devine les odeurs de sable, de sang, de sueur, mêlés aux effluves de fritures et de viande rôtie qui empliront bientôt ses narines.

Elle tremble. Mais ce n’est pas de la peur. Rien de tout ceci ne l’effraie. Rien de tout ceci n’est comparable à ce quelle a vécu auparavant.

Ce souffle chaud venu de l’extérieur fait toutefois remonter en elle des images. Elles affluent peu à peu… et le souvenir d’un combat… et d’une chaleur intense sur sa peau.

Ce sera bientôt son tour.

Ils attendent dans la cour en silence, menaçants. Ils attendent le duel. Un combat organisé en une parodie de jeu par le véritable maître de la Dent : Hakan le Borgne. Les gardiens du pénitencier le laissent agir à sa guise tant que règne un semblant de calme parmi les détenus. Et ces jeux, comme il les appelle, sont un moyen de calmer les criminels qui peuplent la Dent. Mais c’est surtout, pour lui, le moyen de raffermir son pouvoir, de se divertir et de s’offrir une dose de sang gratuite.

Elle est arrivée depuis peu au pénitencier et aujourd’hui c’est son tour. Elle doit combattre. Un combat sans pitié, sans remord. Personne n’en éprouve de toute façon à l’égard des assassins, et certainement pas un autre assassin. Elle connaît le nom de son adversaire, par jeu, on le lui a donné, sans doute pour la tourmenter par avance. « Marteau », Le champion d’Hakan. Un immense Suleman au pelage noir comme l’ébène.

Elle sort d’une petite cellule fraîche gardée par deux cerbères aux corps balafrés. Elle fait quelques pas puis se présente en haut d’un petit escalier de pierre usé qui descend dans la grande cour du pénitencier. Elle s’arrête, lève les yeux et les plisse légèrement afin d’observer cet océan de bleu sur lequel Thébus, le soleil de Mornea, règne sans partage.

La foule de bagnards est rassemblée en cercle dans la cour. Un large Khaliman est assis sur une roche vulgairement taillée qui surplombe l’arène dessinée par le public. Son unique oeil scrute son aire de jeu, un petit sourire lui tord le coin de la bouche quand il la voit arriver. De l’autre côté de l’arène, les bagnards s’écartent pour laisser passer un énorme khaliman. Il dépasse de plusieurs têtes la majorité des bagnards. A chacun de ses pas pesants, un nuage de poussière s’élève. Un monstre de puissance qui semble faire trembler le sol alors qu’il s’avance vers elle. Et alors qu’il fend la foule, les bagnards grondent sourdement son nom : « Marteau ! Marteau ! Marteau ! »

Elle s’avance lentement, descend l’escalier. Elle observe son adversaire, relève chaque petit détail. Il est massif, tout en muscles. Ses mains sont énormes, ses articulations semblent dures comme la pierre et la corne formée sur ses mains suggère que son nom de scène lui vient de ses techniques toutes subtiles de combats à mains nues. Ses genoux sont cagneux. Il semble pesant. Il doit être lent. Arrivé dans l’arène, il salue la foule en levant ses gigantesques mains vers le ciel. Puis il se tourne vers Hakan pour saluer son maître.

« Tant qu’il ne me touche pas, je suis sauve. Si jamais il parvient à m’atteindre… il n’y aura pas de deuxième chance ».

Elle marche lentement sur la terre ocre de la Dent. Ses pas sont légers, feutrés et c’est à peine si elle laisse une empreinte lors de son passage. Le contraste entre les deux combattants est saisissant et la foule a déjà choisi son vainqueur : « Marteau ! Marteau ! ».

Leur champion lui tourne toujours le dos et regarde son maître. Elle lève alors les yeux vers Hakan et tressaille : le khaliman sur la droite du rocher, il ne lui est pas inconnu …

Mais alors que son regard se fixe sur ce khaliman, le colosse se retourne et s’élance vers elle d’un bond. Son attention se fixe alors de nouveau sur le combat, elle est stupéfaite par la rapidité de son adversaire. « Fort ET rapide ! ». Son inattention et sa trop grande confiance en elle ont failli lui coûter cher. II pourrait presque parvenir à la surprendre. Presque. Elle possède des réflexes surnaturels, travaillés, affûtés par de longues lunes d’entraînements acharnés. Même un adversaire rapide comme lui ne saurait la prendre en défaut. Elle bondit de côté afin d’éviter la charge furieuse de son adversaire. Instantanément, Marteau réagit à la feinte et pivote sur lui-même pour lancer l’un de ses bras en un grand mouvement ample et la faucher en plein vol. Mais la khaliman n’est déjà plus à l’endroit où le géant pense la trouver. Il se retourne. Elle fait de petits pas chassés autour de lui. Il s’élance et lance plusieurs attaques rapides, enchainant les frappes de ses poings. Mais elle parvient à les esquiver sans trop de peine malgré la rapidité étonnante de son adversaire.

Le ballet des combattants semble enchanter la foule, les cris se font de plus en plus forts et Hakan, sur son trône, exulte intérieurement : « Marteau ! » Ayant pris la mesure de son adversaire, elle se lance alors à l’attaque, effectue un salto arrière pour éviter un nouveau mouvement du géant, atterrit sur ses pattes et, dans l’instant bondit en avant pour surprendre son adversaire et lui passer derrière. Elle se baisse pour éviter un balayage du bras et, en équilibre sur une seule patte, lance sa patte vers le genou de son adversaire qui cède dans un craquement lugubre. Alors que le Marteau vacille, elle s’écarte puis replonge en avant vers le sol, prend appui sur ses bras, pousse d’un coup et se projette, pattes en avant, autour du cou du géant. Puis elle raffermit sa clé, le khaliman tente alors de desserrer son étreinte de ses deux mains mais elle maintient la pression, se penche vers lui et vient, attrape sa tête qu’elle fait tourner d’un geste violent. Les yeux de son adversaire se révulsent immédiatement, il chancelle avant de s’effondrer dans la poussière…

Elle relâche alors sa prise, se relève et s’écarte lentement du corps sans vie.

Le silence se fait dans l’arène improvisée. La scène s’est déroulée rapidement, violemment et le résultat est inattendu pour l’assistance. Hakan regarde la scène, interdit, une grimace barrant son visage scarifié.

Mais avant que quiconque ne réagisse, une explosion assourdissante retentit au sommet de l’un des deux minarets gardant l’entrée du pénitencier. Le haut de la tour se détache puis vient s’écraser en un lourd fracas au centre de la cour, écrasant plusieurs bagnards sous les gravats.

Quelques secondes à peine après l’explosion, une longue plainte grave s’échappe du second minaret : le long râle d’un cor de guerre sonnant l’alerte dans toute la Dent.

(Texte de Josselin Moreau)

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